L’esprit des bâtisseurs et les moyens techniques à leur disposition

Pour mener à bien les constructions, de nombreux outils sont utilisés sur les chantiers. Mêmes s’ils paraissent rudimentaires, chaque ouvrier les maîtrise à la perfection et parvient à réaliser des travaux incroyables et extrêmement précis. L’élaboration des cathédrales peut se diviser en deux parties : l’élaboration du plan par le maître d’oeuvre,  puis l’application de celui-ci sur le terrain par les ouvriers qui travaillent la matière, chacun en fonction de sa spécialité. Lors des préparations préliminaires, les outils les plus utilisés sont simplement la règle, l’équerre et le compas à pointe sèche qui permet également de mesurer des angles. Cette simplicité dans les tracés permet d’agrandir les dessins aux proportions de la construction sans les trahir. Pour Villard de Honnecourt, ce sont des tracés “pour travailler facilement”. A l’époque, l’imprimerie n’est pas encore apparue et copier les plans demande beaucoup de temps et de ressources. Ainsi, les plans sont généralement uniques et sont conservés sur le chantier dans la chambre du trait. Sur le terrain, d’autres outils mathématiques sont utilisés. Chaque ouvrier a un instrument de mesure spécifique au chantier appelé la pige. C’est un long bâton de bois marqué de quatre encoches correspondant à cinq mesures basées sur le maître d’œuvre lui-même : la paume, la palme, l’empan, le pied et la coudée. La paume correspond à la taille de celle du maître d’œuvre, la palme à la distance entre son index et son auriculaire, l’empan à celle entre son pouce et son auriculaire et la coudée à la distance séparant l’extrémité du majeur et le coude. Le pied lui, correspond à la somme de l’empan et de la palme.

Les mesures utilisées étant différentes d’un chantier à un autre, il est impossible de comparer deux cathédrales à partir de leurs mesures ou d’unités numériques. Un autre instrument extrêmement utilisé sur le terrain est la corde à douze nœuds ou encore corde des druides. Originaire de l’Égypte antique, elle est constituée de douze nœuds délimitant douze espaces. Elle est un moyen simple de trouver toute sortes d’angles grâce à des formes géométriques simples comme le triangle équilatéral pour les angles de 60°, le dodécagone régulier pour les angles de 75° ou 150°, le triangle rectangle pour les angles droits. Elle permet également d’effectuer des tracés simples comme ceux d’ogives en tiers ou quinte point. Les artisans utilisent également un compas dit d’appareilleur qui permet de reporter aux grandeurs voulues les tracés des plans.

Enfin, chaque maître dispose d’un instrument appelé figure originelle. Plus complexe d’utilisation, elle est plutôt réservée aux personnes élevées dans la hiérarchie du compagnonnage et notamment au maître d’œuvre. Elle est constituée d’un carré et de son cercle circonscrit. Les deux axes de symétrie de ce dernier forment quatre plus petit carrés. En traçant les axes de symétrie de ces nouveaux carrés, on obtient quatre nouveaux segments sécants avec le cercle. On peut relier les points de concours entre cercle et axes de symétrie entre eux, afin d’obtenir de nouveaux segments horizontaux et verticaux, comme sur la figure ci-dessous.

Construite en bois, la « figure originelle » est comme un “couteau suisse” sur le chantier d’une cathédrale. Elle permet grâce à des correspondances géométriques entre des droites et des figures de déterminer n’importe quelle longueur ou forme.  Elle est utilisée à la fois lors des préparations et lors de la construction à l’aide d’appareils de visée pour transposer les longueurs aux grandeurs voulues.

Une fois la cathédrale dessinée, un long travail de préparation s’annonce pour apporter tous les matériaux sur le chantier et les préparer à l’utilisation. Avant d’être apportées sur le lieu de construction, les pierres sont taillées aux alentours de la carrière, afin de faciliter la logistique. Les plans, mesures et tailles ayant été effectués, les constructions débutent réellement. Les édifices ont des fondations importantes qui permettent de répartir le poids de la structure. Les bâtisseurs ont pu déterminer leurs profondeurs par expérience, en s’inspirant d’églises déjà érigées ou en réutilisant des fondations déjà construites pour des édifices antérieurs. Dans les sols mous et peu résistants, des forêts de pieux en bois sont plantées sous les fondations en pierre afin de les rendre plus stables. Lorsque la construction en hauteur débute, des ouvrages provisoires sont réalisés afin de soutenir les pierres et de faciliter la construction. Des cintres, coffrages et échafaudages sont alors construits. Cependant, leur quantité est limitée, puisque le bois coûte cher. Une fois la structure construite, ils sont réutilisés pour réaliser la suite. Ils se doivent donc d’être durables et solides pour supporter le poids des ouvriers et des matériaux. De nombreux engins de levages sont utilisés afin de monter les pierres. Les carnets de Villard de Honnecourt procurent de précieuses informations sur ces engins. Ils utilisent la force humaine comme le montrent les exemples de la roue d’écureuil (ou grue à cage d’écureuil) ou du cabestan. Les deux correspondent à des systèmes de poulie qui permettent aux charges d’être allégées, rendant les soulèvements possibles. Pour la roue d’écureuil, des hommes avancent dans une roue en bois qui actionne le mouvement de poulie. Après construction des murs et des voûtes, se pose la question de la charpente. Les bâtisseurs doivent la construire la plus solide possible, tout en utilisant peu de bois. Elle est ensuite généralement couverte par des tuiles. C’est ainsi, grâce à de nombreux outils et à une ingéniosité sans précédent que les bâtisseurs ont achevé la construction de ces incroyables édifices que sont les cathédrales.

Illustration par Villard de Honnecourt de la roue d’écureuil