L’art et le savoir-faire de bâtir les cathédrales

Les Carnets de Villard de Honnecourt constituent une richesse incroyable et unique sur le contexte d’apogée des cathédrales dans la première moitié du XIIIe siècle et plus précisément des années 1235-1250. Composés de croquis et de notes, ils nous renseignent sur de nombreuses connaissances et techniques de construction de l’époque. Peu d’informations nous sont parvenues sur son auteur. Honnecourt renvoie certainement à la ville de Picardie dont il est originaire ou bien le monastère dont il faisait partie. Sa région d’origine explique ses connaissances privilégiées, car elle correspond à un carrefour économique majeur. Elle est au cœur des centres intellectuels. C’est un homme, comme tous les autres maîtres d’œuvre de son temps, qui dispose de nombreuses facultés. Il se doit d’être à la fois dessinateur, ingénieur, architecte, géomètre, inventeur, chef de chantier… Ses différents talents se reflètent dans les différentes facettes de son œuvre. Ils permettent une approche des monuments gothiques plus technique par laquelle on peut se plonger réellement dans les rouages de l’esprit d’un bâtisseur et de ses obstacles quotidiens.

Le mot architectus ou architector est pratiquement absent des écrits du Moyen Âge et les carnets de Villard de Honnecourt ne font pas exception à cette règle. Cependant, à travers de simples dessins, nous pouvons comprendre comment, à la manière d’un architecte, Villard peut, par exemple, vérifier l’aplomb d’un élément inaccessible comme sur le dessin de la poire à l’aide de l’objet de la mire (dessin 1). Garantissant la portée générale de son explication par un élément concret et ludique pour la mémoriser, Villard trace trois mires et une croix au sol qui indique l’aplomb de la poire à vérifier. On vise la poire avec une mire ce qui permet de déterminer un premier plan vertical et on recommence avec la deuxième mire. Une troisième mire, en tendant des cordeaux depuis les deux autres mires, permet de matérialiser la trace au sol des deux visées (dessin 2). Leur intersection détermine l’aplomb recherché. On peut matérialiser cette technique dans une cathédrale pour vérifier l’aplomb d’une clef de voûte (dessin 3). Cela apportait au maître d’œuvre une vérification pouvant mener à un renforcement ou bien une destruction de certaines parties de l’édifice comme les murs porteurs, les contreforts, les arcs boutants ou les flèches.

(dessin 1)
(dessin 3)
(dessin 2)
Dessins de Villard de Honnecourt et leur interprétation par la BnF

Le carnet regorge également de ce qu’on appellerait des moyens mnémotechniques pour aider les bâtisseurs dans leur tâche. Certains dessins ont donc vocation à dévoiler les secrets des maîtres d’œuvre. Cependant le choix de dessins plutôt que de figures explicites révèle de la part de Villard, comme pour de nombreux bâtisseurs, une volonté de conserver leurs techniques à l’abri du regard de non initiés. Les plans sont fondés sur des figures géométriques simples que l’on retrouve dans le dessin des flamants et celui de la main.

Dessin issu des Carnets de Villard de Honnecourt de deux flamants
Interprétation du dessin des flamants par la BnF

     Les deux cercles inter-sécants dont la circonférence est évoquée par le cou des flamants définissent la médiatrice, segment de droite séparant les deux centres. A l’aide de deux traits de compas, Villard rappelle comment séparer un segment en deux parties égales ou encore comment tracer un angle droit.

Dessin d’une main par Villard de Honnecourt

Interprétation par la BnF de ce dessin

Cette main rappelle l’utilisation du langage des mains sur les chantiers pour transmettre un message à distance. Mais elle possède également un sens pratique et livre une autre information au lecteur du carnet. On retrouve, à l’aide des deux côtés AB et AC du triangle tracé sur la main, le rapport 3 et 4. La diagonale représente alors 5 unités. Or le triangle 3, 4, 5 est rectangle. C’est une figure indispensable sur le chantier: celui qui l’a en main peut facilement vérifier les angles droits d’une construction. Enfin Villard de Honnecourt développe dans ses carnets des techniques d’ingénierie. Il doit faire construire tous les engins nécessaires à la construction, ce qui le rapproche du domaine de la mécanique. Une problématique à laquelle il est quotidiennement confronté est l’élévation de matériaux lourds. Un exemple concret correspond au besoin de vis, dont la confection pose problème, et qui permet de mettre au point un certain type d’engin de levage. La jauge à cran indique l’épaisseur du noyau et la profondeur à tailler de part et d’autre. Trois génératrices sont indiquées autour du cylindre et leurs positions correspondent à un écartement d’un tiers de la circonférence. Sur chacune on marque des points correspondants à une puis deux puis trois longueurs égales successivement en tournant autour du cylindre. On définit une hélice qu’on trace en reliant ces points par un cordeau. Puis le tourneur sur bois taille la vis à l’aide d’une gouge, sorte de ciseau, de forme appropriée en suivant le tracé hélicoïdal. A l’aide de cette vis, Villard trace une machine en charpente actionnée manuellement par les ouvriers. Elle peut servir comme élévatrice ou pour décharger une construction.

Dessin de Villard de Honnecourt pour former une vis de pressoir
Interprétation d’un dessin de Villard de Honnecourt par la BnF
Projection du travail du tailleur de vis par la BnF d’après un dessin de Villard de Honnecourt
Machine basée sur la vis permettant de soulever de lourdes charges issue d’un dessin de Villard de Honnecourt







Ainsi les carnets de Villard de Honnecourt nous livrent une approche technique, différente des connaissances théoriques sur la construction de cathédrales. Ils permettent tout autant de se plonger dans une époque et un contexte inhérent à ces édifications que de nous révéler la richesse des connaissances de l’époque, animée d’une curiosité intellectuelle profonde. Ils nous apprennent donc à appréhender le gothique dans son contexte technique, et l’histoire éclaire certains pans de ces carnets.