L’envers du décor

L’une des problématiques majeures qui influe sur la construction des cathédrales est le financement. Au XIIe siècle, les évêques se lancent dans la “croisade des cathédrales”, soutenus par des bourgeois animés d’un patriotisme local. Après la reprise de Jérusalem par Saladin en 1187, les évêques profitent de ce revers militaire. Ils proposent aux riches fidèles d’alléger leurs consciences en finançant des chantiers de cathédrales plutôt que de partir en Terre Sainte. Les cathédrales sont en effet peu financées par le Roi. Elles suivent l’évolution des revenus des terres agricoles, de l’industrie, du commerce et des fonds de l’Eglise car elles en sont dépendantes. Cependant, la reprise économique qui touche la France semble décalée par rapport aux moyens immenses investis dans ces constructions colossales. Les salaires, tout d’abord, représentent une part importante du budget, avec la rémunération des tailleurs de pierre, des maçons, des charpentiers, des verriers, des sculpteurs… Il faut également compter l’achat des outils et des matériaux essentiels. Les “aumônes de vieille femme” contribuent à la caisse, comme l’épargne populaire. L’origine des financements reste cependant très floue. Certains historiens avancent qu’une participation populaire bénévole permettrait de résoudre ce mystère des ressources financières. Il paraît pourtant peu probable qu’un maître de chantier accepte une foule de fidèles au milieu de travailleurs qualifiés. Cela aurait, en effet, remis en question le statut privilégié et les intérêts des bâtisseurs, puisque les salaires auraient alors baissé. Les chantiers se doivent donc d’être efficaces et économes en se fondant sur l’esprit pratique, car entre 1050 et 1350, plusieurs millions de tonnes de pierre sont extraites pour édifier 80 cathédrales et 500 grandes églises. Ces chantiers sont supervisés par le personnage de l’architecte plus connu sous le titre de maître d’œuvre. Il fait adopter ses plans, dirige les débuts de l’entreprise et choisit les collaborateurs. Il est payé et pensionné à l’année. Par exemple, sur le chantier de Rouen au XIVe siècle, le maître d’œuvre reçoit une pension annuelle, accompagnée de cent sous pour les vêtements, et lorsqu’il est sur place, il touche trois sous par jour en supplément. Ce n’est pas un membre du clergé, mais un laïc formé par ses expériences sur les chantiers et empreint de pragmatisme. Il voyage pour découvrir des techniques et se faire former par différents maîtres. Toutefois, lors des débuts du gothique, les maîtres d’œuvre sont formés dans les abbayes par les connaissances des moines. Ils mettent ainsi leur talent au service de l’ordre religieux.


Les artisans ouvriers sont regroupés sous la forme d’une association appelée compagnonnage. Ce terme est issu de l’expression latine cum panis, le pain partagé après le travail. Les premières origines du compagnonnage se retrouvent sur le chantier, dans les loges de bâtisseurs où les ouvriers mangent, se reposent. Le lieu est chauffé et abrite les outils, les matériaux et la chambre de trait qui contient le plan de l’édifice tracé par le maître d’œuvre du chantier. Le but premier de cette association est de se prêter mutuelle assistance. La tradition donne à ces corps de métiers une origine biblique sur le chantier du temple de Salomon. Leur présence à l’époque des cathédrales est révélée par des traces sur les ouvrages. Par exemple, à Chartres, deux hommes accroupis l’un en face de l’autre ont des dés dans leurs mains. Ils symbolisent un maître et son apprenti car des symboles compagnonniques sont représentés sur les dés.

Il est plus commun à cette époque de désigner sous l’appellation de “corporations de métiers” le regroupement de travailleurs. Ces dernières sont divisées en trois groupes, établissant une structure hiérarchique: les maîtres aux  grandes compétences techniques, les apprentis en formation pour devenir maîtres, et les valets constituant le personnel des ateliers. Ces corporations acquièrent cependant de plus en plus de puissance et les maîtres sont recrutés par hérédité. Face à cette domination des patrons, des confréries ouvrières se créent. Elles unissent les ouvriers d’un même corps de métier, et assurent leur solidarité comme leur défense lorsqu’ils voyagent dans des villes inconnues, cherchant du travail. L’essor des cathédrales est particulièrement propice au développement du compagnonnage, car ces hommes ont la particularité d’être tous engagés le même jour pour une durée fixe de un an. Cela ajoute une caractéristique à leur identité : la mobilité. Ils effectuent, sur des périodes d’un an, des voyages dans toute l’Europe, comme Villard de Honnecourt. Tous les membres de l’institution  sont qualifiés et représentent l’élite de la population. Ils savent lire, écrire, manier l’art du trait et la géométrie. Ils ont des connaissances historiques. L’apprenti, pour sa part, travaille à la carrière et taille les pierres. Il reçoit le soir un enseignement sur les outils du chantier, ce qui lui rend possible l’accès au statut de Compagnon après présentation d’un ouvrage. Cette organisation permet l’expression des connaissances à travers l’édification des cathédrales.

La plus célèbre œuvre des bâtisseurs du Moyen-Age: Notre-Dame de Chartres

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