Des connaissances actuelles au service des cathédrales

Si les mathématiques algébriques sont étrangères à la genèse des cathédrales, nous pouvons aujourd’hui nous en servir pour analyser ces constructions.

Il existe une théorie populaire selon laquelle les cathédrales seraient construites autour du nombre d’or. Phi, de symbole φ, est un nombre irrationnel dont la valeur numérique approximative est 1,618.  Ce nombre, selon des critères mystiques, incarne une proportion parfaite, l’harmonie et la perfection en termes de beauté des structures.

On prête souvent la découverte du nombre d’or à Pythagore mais s’il est probable que les Anciens connaissent son existence, ils ne le comprennent pas et ne peuvent le transmettre aux maîtres d’œuvre. Ce n’est qu’à la Renaissance que l’on découvre véritablement ce nombre. Lucas Pacioli di Borgo, moine du XVIe siècle, l’examine dans son De divina proportione. Il cherche à prouver par ce rapport l’existence de Dieu et donne naissance à l’idée de la proportion divine. C’est en cherchant ce nombre partout dans l’univers, au nom d’un principe esthétique, qu’au XIXe siècle, le philosophe allemand Adolf Zeising le relie à l’architecture. C’est enfin après l’ouvrage éponyme de Ghyka, un prince roumain fasciné par sa mystérieuse esthétique, publié en 1931, que le nom de « nombre d’or » est définitivement adopté.

Dans quelle mesure ce nombre mythique aurait-il pu alors guider les bâtisseurs? De nombreux travaux ont été effectués afin de prouver la présence irréfutable de ce nombre dans tous les édifices gothiques. Le plan du sol de la cathédrale Dol-de-Bretagne a notamment été très étudié:

Figure 1
Figure 2
Figure 3

On superpose au tracé architectural quatre carrés identiques, dont les deux centraux se chevauchent au niveau du transept. On remarque que cela forme deux rectangles lorsque l’on ajoute respectivement aux carrés extérieurs le bout non chevauché du carré intérieur le plus proche. Ce sont deux rectangles d’or: le rapport de la longueur du carré compris dans le rectangle sur la plus grande longueur du rectangle correspond au nombre d’or. De plus, le premier rectangle donne la longueur du parvis jusqu’au transept et le deuxième celle du transept jusqu’au fond du chœur.

La façade de Notre Dame de Paris est très connue pour avoir des dimensions proches du nombre d’or : de nombreux tracés populaires montrent que le rapport de la hauteur (69m) sur sa largeur (40m) équivaut environ le nombre d’or. La même logique de recherche de cette proportion est employée pour le tracé au sol de la cathédrale parisienne.

Seulement, un problème persiste. Si en théorie ces conclusions paraissent irréfutables, elles sont, en réalité, le résultat de grossières erreurs de calcul. Dans le cas de la cathédrale de Dol-de-Bretagne, le plan pris pour la démonstration est douteux, notamment au niveau de l’alignement de la ligne verte et rouge sur la figure 1. Les carrés n’en sont pas vraiment car quelque peu déformés pour arranger les calculs. De plus, les lignes verticales suivent le centre des piliers mais les lignes horizontales sont alignées à gauche sur le mur extérieur et à droite sur l’extérieur des piliers. Pour la façade de Notre Dame de Paris, on remarque, dans le texte explicatif de la démonstration de la présence de nombres d’or, de trop nombreux « environ ». Par ailleurs, le rapport véritable se rapproche plus de 1,725. Il semble également peu vraisemblable de justifier ces approximations seulement par l’imperfection de la construction de la cathédrale. Les bâtisseurs ne connaissent donc pas ce nombre magique. Mais comment est-il alors possible de retrouver tant de proportions dorées, même approximatives, dans les cathédrales? Cela s’explique par l’emploi des figures géométriques simples dans lesquelles le nombre d’or est facilement retrouvable. Nombre de constructions ont des proportions voisines de φ.

Représentation géogébra du rectangle d’or

Par exemple, le rectangle d’or est très présent dans les cathédrales car c’est une figure géométrique très facile à tracer avec les moyens de l’époque. Il se construit avec un carré (ABCD) dont le milieu d’une longueur (ici E) est le centre d’un arc de cercle de rayon f passant par un sommet opposé du carré. Grâce à cet arc de cercle, il est possible de tracer une prolongation ce qui forme un rectangle (AFGD). Le rapport entre la longueur du rectangle AF et la longueur du carré AB donne le nombre d’or.

Le nombre φ est donc souvent présent dans les proportions des cathédrales, de façon plus ou moins rigoureuse, mais cela est dû au plan géométrique et non à une intention des bâtisseurs.

La quadrature du cercle soulève également des questions. Mathématiquement, il est impossible d’obtenir un cercle ayant la même surface qu’un carré puisque Pi est un nombre irrationnel. Cependant, de nombreuses personnes affirment que l’on trouve bien dans les bâtiments gothiques la preuve que les bâtisseurs médiévaux étaient capables de faire cette manœuvre. Selon des historiens et des ingénieurs du XXIe siècle, cette prouesse se trouve dans le plan de la cathédrale. Ils sont en effet capables de tracer la quadrature du cercle de façon triviale à l’aide d’une corde à 12 nœuds. Par exemple un carré de 3 coudées de long a le même périmètre qu’une corde à nœuds disposée en forme de cercle. Il existe une deuxième méthode pour réaliser la quadrature du cercle à la façon des maîtres d’œuvre. On construit un triangle de Pythagore, c’est à dire de côté 3, 4 et 5, ici en vert. On trace ensuite un cercle de rayon AC qui coupe l’axe des abscisses au point D. On trace ensuite le cercle de centre B et de rayon BD. Il coupe l’axe des ordonnées en E et H. A l’aide de la corde à douze nœuds, on peut tracer un carré (EFGH) de périmètre:

Périmètre EFGH = 4 x longueur d’un côté = 4 x 2AE = 8AE

On construit ensuite un cercle de centre A et de rayon AE qui coupe l’axe des abscisses au point O. Son périmètre vaut :

P = 2 x Pi x AE (environ 6AE)

Les périmètres du cercle de centre O et de rayon OA et du carré EFGH sont relativement proches. En effet si on prend un triangle rectangle dont les côtés sont de longueur 3, 4 et 5, les périmètres sont respectivement 41 et 46 : on obtient ainsi la quadrature du cercle.

Réalisation géométrique de la quadrature du cercle

Du fait de cette construction géométrique, on retrouve dans les cathédrales de nombreuses proportions remarquables. Par exemple, la longueur des cathédrales de Reims, Troyes, Bourges et Tours vaut 2√2 fois leur largeur. Saint-Étienne de Bourges mesure 118 mètres de long et 41 mètres de large. Or 118/2√2 = 41 mètres
Néanmoins les bâtisseurs du Moyen Âge ignorent cela et cette proportion est sans doute due à la Table.

Ainsi, au cours des siècles qui ont suivi la période d’apogée des constructions gothiques, de nombreux hommes, tant mathématiciens qu’historiens, se sont penchés sur les mystères que ces bâtiments recèlent. Les deux disciplines s’unissent afin de livrer une meilleure compréhension de l’esprit des hommes de ce temps.